Après la mort de Jacques Delors, préparer l’avenir – par Alain Gély

Je suis assez d’accord avec certaines des réactions inspirées par la mort de Jacques Delors (Jean-Pierre Chevènement, David Cayla, Hadrien Mathoux : références ci-après). J’y ajouterai quelques précisions.

Adhérent tardif au PS (1974 après un parcours politique, disons, varié) Jacques Delors a plutôt été un démocrate-chrétien qui a ouvert la voie au libéralisme financier ravageur en France et en Europe de l’Ouest.

On peut lui reconnaître une certaine intégrité. Il a d’ailleurs eu l’honnêteté de refuser explicitement le « Projet socialiste pour les années 80 ». Ce projet, qui reprenait dans une large mesure le programme commun des années 1970, était censé inspirer la politique de la gauche après les victoires électorales de 1981. La ligne politique de Delors l’a emporté. 

La suite l’a démontré :

– en 1981-83, avec le virage libéral et européiste dans un contexte de guerre froide finissante ;

– en 1984 -86 avec la libération des marchandises et, surtout, des capitaux sans qu’on nouveau projet socialiste, même très modéré, n’ait été proposé. L’harmonisation fiscale n’a pas vraiment été amorcée. La “Charte sociale” n’était qu’une proclamation vide de contenu réel. Elle n’a en rien limité la dérive anti-sociale de la CEE puis de l’UE. Les services publics ont été combattus au nom de la concurrence « libre et non faussée ». Cette Europe-là s’est avérée tout à fait compatible avec les souhaits de Mme Thatcher, sous protectorat étasunien.

– en 1994 quand Jacques Delors, favori des sondages, a renoncé pour la Présidentielle de 1995. La raison en a été l’impossibilité de constituer alors en France le rassemblement de la démocratie-chrétienne et de la social-démocratie qui dominait en Europe de l’Ouest et a inspiré les traités de Maastricht puis de Lisbonne.

– quand le « bébé Delors » François Hollande a hautement contribué à discréditer le PS et à passer le relais au macronisme.

Au total, le ralliement de la gauche dite de gouvernement à ce qu’on appelle l’économie de marché a surtout signifié un nouvelle alliance politique. Cette orientation centrée sur les « nouvelles couches salariées » a délaissé les classes populaires, vouées au chômage et à la précarité, et accepté implicitement la domination sans partage du capitalisme néolibéral.

On peut saluer quand même chez Jacques Delors des qualités humaines personnelles et son goût pour le jazz. Mais, pour la gauche républicaine et sociale, il a été politiquement un adversaire.

Il s’agit désormais d’inventer un nouveau projet “jauressien”, patriote et internationaliste, républicain et social, en tenant compte du nouvel état du monde qui n’est plus celui de Jacques Delors. C’est possible, puisque c’est nécessaire, et sans doute urgent.

Alain Gély[1]

PS Je tiens à la disposition de qui le souhaitera une analyse « non conventionnelle » de la période 1981-1983

Quelques références :

Réaction de Jean-Pierre chevènement : www.chevenement.fr

Celle de David Cayla (co-auteur de plusieurs livres avec Coralie Delaume)
blog.univ-angers.fr/davidcayla/jacques-delors-et-le-marche-unique-europeen/

et celle d’Hadrien Mathoux dans Marianne (qui est aussi sur le site de POURS)

Pour les 50 nuances de glorification de Jacques Delors consulter les grands médias dominants !

[1] Secrétaire de la section PS du Ministère des Finances de 1981 à 1988.