« Reviens Jaurès, ils n’aiment plus la Nation ! »
« Reviens Jaurès, ils n’aiment plus la Nation ! »
Claude Nicolet, mars 2021
Ce que bien de nos « élites » dites de gauche ne parviennent, ne veulent pas comprendre, voire qu’elles combattent, c’est le lien qui existe entre ce qu’il y a peu de temps nous appelions encore la « classe ouvrière » et la nation. La nation reste l’un des grands impensés de la gauche française. C’est peut-être même l’un des points le plus sensibles et il n’est pas inutile de constater la tentative de disparition de ces deux notions à l’occasion de ces quarante dernières années. Souvenons-nous par exemple de l’avertissement de Pierre Mauroy durant la campagne présidentielle de Lionel Jospin : « ouvrier ce n’est pas un gros mot »
Le « trouble dans la civilisation » provient probablement de l’éclatement de ces deux notions. Non pas que les ouvriers n’existent plus, certainement pas, ils sont encore plusieurs millions, auxquels il faut ajouter des millions de salariés précarisés et affaiblis par le néolibéralisme qui dissout les solidarités sociales et culturelles, identitaires et politiques. Dans le même temps et de façon logique et cohérente, l’idée de nation a été discréditée, ringardisée et renvoyée à un archaïsme devenu encombrant. En France en particulier. Or le moment est probablement venu de les réinterroger et de réinterroger ce lien qui doit nous unir et qui en France a pris la forme de la République.
Or ce lien, a été pensé par l’un de ceux qui ont marqué d’une empreinte indélébile notre identité politique, au-delà même de la gauche: Jean Jaurès. Il avait compris que pour que la République advienne et tienne ses promesses, il fallait que fussent célébrées « les noces de la classe ouvrière avec la nation. » Il avait compris qu’il y avait là un chemin qui devait être pris et que ce chemin était également nécessaire pour réaliser une unité de classe, « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène. » Il avait tiré les leçons de l’épisode de la commune. La nation républicaine le meilleur antidote au nationalisme, au chauvinisme et finalement à la guerre. Le parti socialiste devait selon lui en être l’outil et le peuple pleinement souverain devait intégrer la nation, lieu de la possibilité démocratique et l’Etat outil de son émancipation.
Conscience
De nos jours, si la notion de classes a été profondément remise en cause, ça ne veut pas dire que les « ouvriers », les salariés, les précarisés n’ont pas une profonde conscience d’eux-mêmes et des injustices auxquelles ils sont confrontés. Et cette conscience va de pair avec un profond attachement qu’ils continuent d’avoir à la nation.
Pour quelles raisons auraient-ils abandonnés les formations politiques qui étaient censées les représenter ? Pour quelles raisons les ouvriers, les salariés, quand ils votent, ne votent plus « à gauche » ? Pour quelles raisons beaucoup d’entre-deux votent FN/RN ? Parce que 30 où 40% de nos compatriotes seraient devenus des fascistes ? Des extrémistes de droite ? Des racistes et des islamophobes indécrottables ? Non bien sûr, mais il est tellement plus simple de professer l’inverse et de promouvoir aujourd’hui la face B du disque néolibéral fait de racialisme, d’intersectionnalité, d’indigénisme, de décolonialisme, d’islamophobie, et de victimisation perpétuelle.
La nation, seul bien des ouvriers, salariés, précarisés
S’ils sont aujourd’hui là où ils sont, c’est qu’on les y a mis, ou plutôt c’est qu’on les y a abandonné parce que les ouvriers, les salariés, les précarisés eux, n’abandonneront pas la nation, c’est leur seul bien, leur seul patrimoine. En lâchant la nation pour voguer vers d’autres cieux, le marché unique, Schengen, la concurrence libre et non faussée, la liberté de mouvement des hommes et surtout des capitaux, l’euro, l’économie des services et de la connaissance…ils ont bien compris que quelque chose n’allait pas. Peut-on leur donner tort ?
Que nous dit Ernest Renan dans sa fameuse conférence « qu’est-ce qu’une nation ? » « Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une […]. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. […] Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. […] Je me résume, Messieurs. L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »
C’est de cela dont est fait notre imaginaire politique, donc notre imaginaire national. Pour notre pays, pour la France, pour le peuple français, cette remise en cause pose un problème redoutable qui touche à son existence même c’est-à-dire à la définition qu’il se fait de lui-même au travers de cette perpétuelle interrogation, de cette recherche constante d’équilibre, de cette « dispute commune » pour reprendre le mot de Stéphane Rozès.
Des ambitions qui les dépassent
Multiculturalisme et néolibéralisme marchent ensemble, tels les chevaliers de l’Apocalypse. Et nos petits décoloniaux ne sont que les supplétifs, la piétaille, la chair à canon d’ambitions qui les dépassent. Mais ils en sont d’autant plus zélés que dans le concert des nations nous n’avons pas que des amis qui nous veulent du bien et qui savent également les utiliser au plus grand profit de leur propre « soft power » et de leur désir de notre affaiblissement. Voilà le danger, le vrai danger dont ces idiots se font les complices. Ce qu’ils proposent n’est jamais que l’inverse de ce que nous dit Renan. Pour eux c’est d’abord la race, la religion voire même la langue. C’est à dire l’asservissement, « l’aliénation » aurait dit Marx, aux forces qui veulent toujours prendre leur revanche sur 1789 et l’esprit des Lumières. Et elles sont nombreuses.
Le phénomène de déconstruction nationale s’appuie sur les processus, les mécanismes néolibéraux qui brisent les solidarités collectives Et ni la « gauche », ni la « droite » ne peuvent plus aujourd’hui faire l’économie d’une analyse véritable quant aux conséquences de ces mécanismes. En s’acharnant à discréditer ceux qui veulent faire de la reconquête des territoires symboliques perdus de la République, une priorité absolue, nos adversaires dont certains sont des ennemis, drapent dans le manteau de la tolérance le poignard avec lequel ils frappent Marianne.
Non, le peuple ne divorcera pas de la Nation. Renouer avec lui veut donc obligatoirement dire renouer avec elle. L’enjeu, le véritable enjeu est là et il concerne tous ceux et toutes celles qui se disent encore républicains.
One Comment
TOUJA
Article au lyrisme touchant et profond qui donne sens au citoyen déboussolé dans une société où le délitement de la nation se conjugue au quotidien par opposition à la définition d’Ernest Renan.
Ce n’est point un plébiscite mais un dangereux affaiblissement qui sape les fondements de notre pays et le rejette aux confins d’une conflagration permanente.
« La démocratie s’étiole et la République est vidée de son pouvoir » nous assènerait Jean Jaurès. N’oublions pas d’interroger ses mânes pour donner une vie pérenne au bien commun.
André TOUJA