« ISRAËL – GAZA » Expression du POURS
Parce qu’il est inutile de réécrire les points de vue que d’autres ont exprimés mieux que nous ne l’aurions fait nous-même, voici 2 expressions avec lesquels nous sommes en total accord.
« La justesse et la justice des causes anticoloniales et du refus des oppressions perdent leur légitimité le jour où elles acceptent les massacres de civils et le terrorisme aveugle comme des stratégies militaires acceptables »
Natacha Polony : "Face à l'horreur en Israël, nous sommes condamnés au courage politique"
Quelles sont les images qui, pour la mémoire collective, symboliseront ce jour d’horreur ? Ces hommes triomphants, à l’arrière d’un pick-up, assis sur le corps dévêtu et démembré d’une femme ? Ces jeunes gens filmant, au milieu de leurs danses, les assassins du Hamas arrivant en parapente pour les massacrer ? Ou bien cette vieille femme, le visage digne et impassible, emmenée en otage par des hommes armés ? Et partout, ce cri hurlé, répété : Allahu akbar. Comme un rappel à tous ceux qui prétendraient que des « combattants de la cause palestinienne » auraient, ce 7 octobre, « mené une attaque » contre « la puissance occupante ». C’est bien une des dimensions de ce drame que d’avoir démontré combien les anciennes catégories, cinquante ans après la guerre du Kippour, sont tragiquement inopérantes. La masse de haine, de fanatisme et de ressentiment qui fermente dans cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza explose à la face du monde.
Presque aussitôt, et en premier lieu dans la presse israélienne, a surgi, par-delà l’émotion, l’effroi et la sidération, le nécessaire questionnement non seulement sur les responsabilités mais sur les causes profondes de ce que certains appellent déjà le « 11 septembre » d’Israël. En effet, il existe, est-il besoin de le rappeler, une différence fondamentale entre le fait de poser les questions qui fâchent pour comprendre ce qui aboutit à l’injustifiable et tenter piteusement de ne pas nommer cet injustifiable mais l’habiller de « contexte » et de « circonstances » dans l’espoir sordide de glaner quelques votes. Une différence de l’ordre de celle qui sépare la ligne de crête du caniveau.
Jamais l’expression « jouer la politique du pire » n’aura revêtu autant d’acuité qu’à propos du conflit israélo-palestinien, mais plus encore depuis quelques années. Depuis que, sur les ruines des accords d’Oslo et du cadavre d’Yitzhak Rabin, chacun s’est ingénié à dégrader encore davantage la situation, offrant deux millions de Gazaouis à la propagande du Hamas. Plusieurs facteurs l’expliquent. D’abord, le financement forcené de l’islamisme, non seulement par l’Iran, mais aussi par ce Qatar auquel l’Occident a offert une belle Coupe du monde de football. S’y ajoute l’abandon de la cause palestinienne par des pays arabes trop occupés à gérer les conséquences de leurs « printemps » et les bouleversements liés à la bascule de la politique américaine. Car du côté des États-Unis, les responsabilités sont multiples. Il serait trop simple de pointer uniquement Donald Trump et le poids des fanatiques évangéliques dans les faveurs accordées à Benyamin Netanyahou et à ses alliés de l’extrême droite religieuse. La triple alliance qui se dessine alors entre Washington, Jérusalem et Riyad est le fruit d’un changement de perspective opéré sous Barack Obama et dont une des raisons est à chercher dans le nouveau statut des États-Unis, indépendants énergétiquement à partir des années 2010 grâce à l’exploitation du gaz de schiste. Dès lors, ce conflit devenait négligeable au regard de la compétition technologique, commerciale et militaire lancée avec la Chine, comme au regard des enjeux qui se jouaient en Ukraine face à l’ennemi héréditaire russe.
Faillite des politiques israéliens
La communauté internationale, États-Unis en tête, a laissé la droite israélienne amplifier la colonisation, morceler le territoire de la Cisjordanie jusqu’à rendre totalement illusoire une solution à deux États, la seule pourtant qui pouvait éviter la catastrophe dont l’horreur du 7 octobre risque d’être le début. Depuis plusieurs années, Benyamin Netanyahou n’a eu pour obsession que d’affaiblir une Autorité palestinienne déjà rongée par la corruption. Au fur et à mesure que s’éloignait toute solution politique, tout début de commencement d’espoir, la politique sécuritaire devenait le seul horizon d’une droite israélienne qui peinait à masquer les fractures qui lézardaient le pays et l’impasse dans laquelle il s’engageait. Maintes fois, dans les pages de Marianne nous avons décrit le danger de voir Israël, face à la colère des Arabes israéliens, face aux délires militaires qui accompagnaient l’extension des colonies, se diriger vers un avenir dans lequel il ne pourrait plus demeurer un État à la fois juif et démocratique. Et c’est bien sûr la démocratie que Benyamin Netanyahou a choisi d’attaquer à travers ses réformes. Il n’est pas anodin que les réservistes, pour la première fois de l’histoire d’Israël, se soient mis en grève ces dernières semaines pour protester contre une réforme judiciaire attentatoire aux simples fondements de l’État de droit. Ce 7 octobre, c’est un pays divisé et fragilisé qui a connu le pire échec de son histoire en matière de renseignement et de sécurité.
Dans cette brèche se sont enfoncés ceux qui ont juré la destruction d’Israël – car, il faut le répéter, le Hamas n’est pas un mouvement de libération de la Palestine, c’est un groupe de fanatiques islamistes financé par l’Iran et le Qatar, et dont l’un des objectifs est l’éradication de toute présence juive au Moyen-Orient. Quitte pour cela à provoquer des milliers de morts parmi la population palestinienne. Et c’est bien ce qui est en train de se passer. Et l’on comprend, certes, qu’Israël réponde violemment à cette attaque sans précédent et, de fait, existentielle. Quand les États-Unis, après le 11 septembre 2001, avaient attaqué l’Afghanistan, camp de base d’Oussama Ben Laden, la communauté internationale avait suivi. Ce n’est qu’en 2003, avec l’invasion de l’Irak, que l’opération avait changé de sens. Mais on peut s’interroger, cette fois, sur le silence de cette même communauté internationale quand il s’agit, de la part d’un chef de gouvernement qui a délibérément négligé la menace pour se concentrer sur ses affaires judiciaires et son maintien au pouvoir, de priver d’eau et d’électricité deux millions de personnes. La question n’est même plus celle d’une réponse proportionnée ; on savait que ce ne serait pas le cas. Mais faut-il rappeler que les Gazaouis ne sont pas tous des soutiens du Hamas ? Que des milliers d’entre eux ont manifesté, par exemple en mars 2019, contre la corruption du parti au pouvoir, dans l’indifférence générale et au prix de leur vie ? Qui a pu croire que laisser deux millions de personnes enfermées dans une enclave, sans espoir, sans les moyens minimaux de subsistance, conduirait à autre chose qu’à l’extension de l’idéologie mortifère et haineuse des intégristes ? Les dirigeants palestiniens se sont enferrés en refusant systématiquement tout début de négociation, mais, dans cet engrenage infernal, la classe politique israélienne a sombré, choisissant la facilité et la soumission à ses propres intégristes.
Et l’Europe ?
Aujourd’hui, certains parlent de « guerre de civilisation », pour mieux exonérer Israël de toute réflexion sur ces trois décennies de dérive. Que les intégristes du Hamas qui massacrent des enfants en criant Allahu akbar haïssent les valeurs de liberté héritées de l’Humanisme et des Lumières est une évidence. Mais les colons qui grignotent le territoire palestinien au nom du « Grand Israël » n’incarnent pas ces valeurs et les fragilisent au contraire. Si nous abandonnons le débat public, d’un côté à ceux qui ne veulent voir dans cette tragédie qu’une guerre menée par les intégristes islamistes à un poste avancé de l’« Occident » et de l’autre aux gauchistes ou aux cyniques pour qui des fous de Dieu pourraient porter le combat des « damnés de la Terre », la déflagration sera redoutable car la guerre de civilisation est une prophétie autoréalisatrice qui ne peut conduire qu’au chaos. L’exact contraire de ces valeurs de paix et de justice heureusement encore portées par toute une part de la société civile israélienne. Des valeurs qui étaient encore audibles en Europe, dans les années 2000, quand certains se battaient, notamment à Marianne, pour faire avancer la solution à deux États, la seule qui puisse limiter l’engrenage de haine.
Mais qui est encore audible en Europe ? Le cafouillage de la Commission européenne annonçant qu’elle supprimait son aide aux territoires palestiniens avant de rétropédaler piteusement n’est que l’élément le plus pathétique, au milieu d’un silence assourdissant. Un silence qui démontre à quel point, sur ce sujet essentiel à sa sécurité, l’Europe a choisi d’arrêter de penser. Et la France ? Quand Jean-Luc Mélenchon, avec l’indécence dans laquelle il se drape désormais à chaque faute de son parti, prétend perpétuer la ligne gaulliste de la France alors qu’il s’abstient de condamner un acte terroriste abject, il ne fait évidemment pas illusion. Mais il souligne en miroir la disparition de toute véritable politique française au Proche-Orient, depuis que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont aligné notre pays sur les positions américaines. La déstabilisation systématique du Proche-Orient a ouvert un boulevard à l’intégrisme musulman, sur fond de concurrence entre l’Iran et l’Arabie saoudite pour le rôle de défenseur des croyants. Le refus de respecter le droit international a fragilisé tout l’édifice bâti au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Et les pays arabes ont laissé leurs opinons publiques aux mains des fanatiques religieux, de sorte qu’ils sont désormais pieds et poings liés, obligés de suivre l’escalade qui va forcément découler de la répression israélienne sur Gaza.
Face au risque d’explosion, les dirigeants français semblent paralysés. Pendant des années, certains ont refusé de nommer l’antisémitisme qui montait dans des populations issues de l’immigration, sur fond d’importation du conflit israélo-palestinien. Quand il fallait parler, en particulier après la tuerie de Mohammed Merah, ils se sont tus. Et désormais, ils semblent incapables de trouver cet équilibre que devrait leur dicter la raison : soutenir le peuple israélien face à l’horreur du terrorisme, et faire entendre la voix de la justice pour empêcher que les civils palestiniens ne paient encore un peu plus le prix de cette guerre. Entraîner l’Union européenne et la communauté internationale pour relancer un processus de paix. Hélas, il doit repartir de zéro, tant la solution à deux États est rendue parfaitement illusoire, aujourd’hui, par le degré de haine et de fanatisme des militants du Hamas comme par le morcellement du territoire palestinien de Cisjordanie et l’accaparement de l’eau et des terres par les Israéliens. Il y faudra le courage politique de tous ceux qui refusent la déploration complaisante, le clientélisme sordide ou les slogans binaires ; bref, de tous ceux qui choisissent la justice et la paix.